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  • Photo du rédacteurAlexandre Salcède

Et in Arcadia ego





Le domaine dans lequel Blanche est née est un petit havre de paix. Émilienne, sa grand-mère qui s’occupe d’elle depuis la mort de ses parents, a d’ailleurs planté un écriteau, visible depuis la route, sur lequel on peut lire « Vous êtes arrivés au paradis ». Il s’agit d’une ferme ordinaire dans laquelle l’existence s’écoule toujours la même, au rythme des saisons, du travail de la terre, des cycles de la vie animale. Louis, qui y a trouvé un refuge lorsqu’il était un adolescent battu par son père, prête main forte à la matriarche qui règne sur son domaine d’une main de fer.


Mais l’amour fait irruption dans le cœur de lycéenne de Blanche et vient bousculer ces vies minuscules. Il s’appelle Alexandre, lui demande son aide pour progresser en mathématiques. Blanche y met tellement d’elle-même, de longues heures durant, que cela rend Louis fou de jalousie. Ce dernier, âgé de dix ans de plus, contemple en effet avec une distance respectueuse les métamorphoses du corps de la jeune femme en même temps qu’il sent monter en lui le désir presque incestuel de la posséder. Entre-temps, le jeune homme passe de la neuvième à la quatrième place du classement et ce progrès phénoménal lui permet d’obtenir une place dans une école de commerce. De partir. Une trahison non seulement pour sa fiancée, mais également pour tous ceux qui, profondément enracinés au Paradis, l’avaient accepté parmi eux.


C’est dans ce départ que se noue la tension implacable d’un roman qui résonne de cris de part en part, ceux du cochon que l’on égorge pendant que Blanche perd son pucelage, ceux du petit frère, Gabriel, terrifié par la mort de ses parents – et que personne ne console. L’héroïne esseulée, assignée à résidence, s’abîme alors dans les travaux quotidiens pour oublier le corps qui l’a étreinte dans l’obscurité d’une chambre. Jusqu’à ce que revienne, d’aussi loin que le bonheur, le prénom abhorré qui réveille en elle « une bête, créature de désir et de larmes. »


Cécile Coulon, lauréate du Prix Apollinaire en 2018 pour son recueil Les Ronces, signe avec Une bête au paradis un roman à la langue concrète, matérielle, qui a le goût du sang et de la terre ; un livre troublant sur la naissance du désir, à l’intérieur duquel, comme le disait Cioran, « un moine et un boucher se bagarrent ».



Cécile Coulon, Une bête au paradis, L’Iconoclaste

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